No menu items!
More

    « Après moi la foudre et le plus béant des désastres » Bernard Anton contre la guerre

    Ce n’est pas la première fois que Bernard Anton s’en va en guerre. Pour cet amoureux de la paix, de la nature et des humains, il convient de prendre les armes (sous forme de plume) pour vaincre les fléaux du monde. Très au fait de l’actualité, ce poète insolite s’est toujours interrogé sur l’univers qui l’entoure et c’est là le propre de tout artiste. Dans ses derniers ouvrages, comme Célébrades ou encore Lauriers pour l’Ukraine, l’auteur-poète s’est démarqué par l’usage singulier de haïkus. Pour cet humaniste installé au Québec, l’heure est à la contemplation. Une observation non passive de la nature, qui souffre des actes de barbarie perpétrés par égoïsme et ignorance. Les principaux défauts des Hommes avec un grand « H » se résument à la haine, la violence et l’insouciance. Ce sont probablement ces raisons qui le poussent à rester indifférent aux cris des animaux mourants par sa faute, et de cette planète qui en paie le prix fort.

    Aux éditions de l’Harmattan, Ben réitère dans la collection des impliqués avec Anathema sur l’Usurpateur.

    Ainsi, il présente une compilation de haïkus sur le thème de la guerre, de la résistance et plus particulièrement du conflit armé qui oppose l’Ukraine à la Russie. Ce serait un euphémisme de dire que cet évènement bouleversant en a choqué plus d’un. L’Occident s’est ému et indigné de cette invasion d’un pays indépendant, considéré par Poutine comme une part même de la Russie, dénigrant leur identité et ce peuple légitime. Les réseaux sociaux, chaînes de télé, concours et démonstrations sportives ont globalement choisi le camp de l’Ukraine. De leur côté, les Russes peuvent compter sur leurs alliés : la Biélorussie ou la Chine… Difficile de prévoir ou d’entrevoir ce à quoi ressemblera l’avenir et l’issue de cette guerre que l’on croyait pourtant appartenir au passé…

    Une forme d’archaïsme qui touche fortement Bernard Anton — qui se range clairement du côté du président Zelensky. D’ailleurs, l’artiste inclut des citations, des prises de position d’autres leadeurs mondiaux, dont Joe Biden, le président des États-Unis d’Amérique. Ce « génocide » est souvent dénoncé dans sa poésie, volontairement alourdie par la peine qu’il ressent envers cette bataille sanglante.

    Bernard Anton a fondé le prix du Mur de l’Espoir, qui met à l’honneur la forme japonaise du haïku. Celui-ci se démarque par sa brièveté, mais aussi par l’idée de poser peu de mots sur des situations éphémères. C’est pourquoi ce type de poésie se prête à la contemplation de la nature. Ici, l’audace de Bernard Anton se révèle une fois de plus dans toute sa splendeur. Loin de ce Québec qu’il aime tant pour sa faune et sa flore uniques, l’homme décide de décrire l’horreur, l’atrocité, l’ignoble. Pour ne citer quelques haïkus, le lecteur retiendra par exemple : « Seulement les ombres — les cadavres altérés — brameront hourra », « les mères au front — mais où sont donc nos enfants ? les balles rétorquent »,

    « A court d’accessoires ? prenez gilets, casques, gourdes — des compagnons morts. »

     

    D’ailleurs, cette compilation de textes écrite entre le 2 juin 2022 et le 20 janvier 2023 porte avant tout sur les crimes de guerre perpétrés en Ukraine et visant le peuple ukrainien, y compris les civils (non seulement les soldats). Des images très choquantes ont circulé dans les médias et sur les réseaux sociaux, montrant notamment de nombreux corps sans vie laissés dans la rue, en proie aux corbeaux et aux charognards. Les autorités russes démentent tout acte de barbarie de leur côté, renvoyant la balle dans le camp adverse.

    Afin d’expliquer au mieux sa démarche, l’auteur a décidé d’inclure une préface pour son livre Anathema sur l’Usurpateur. Ce texte est écrit par Eugène Czolij, consul honoraire d’Ukraine à Montréal au Québec. Bernard Anton dédie cette publication au peuple ukrainien, qu’il salue pour sa « résilience et son courage ». L’ouvrage débute par des citations de plusieurs personnalités publiques, dont Boris Bondarev, diplomate russe à l’ONU qui a démissionné en Suisse, au printemps 2022. Chrystia Freeland, Première-ministre du Canada et Mélanie Joly, ministre des Affaires étrangères se sont également exprimées. Volodymyr Zelensky et Olena Zelenska ont aussi droit à leurs citations et messages. Cela permet au lecteur d’être déjà en immersion dans ce recueil poétique. Il sait où il met les pieds : ce ne sera pas une expérience plaisante, bucolique, et encore moins un voyage agréable. Cette découverte littéraire est une porte ouverte vers l’enfer. Il est d’autant plus choquant de comprendre que ces scènes qu’il dépeint sont bien réalistes et correspondent aux documentaires qui nous parviennent en France ou au Québec — bref, dans le monde entier.

    Bernard Anton inclut beaucoup d’iconographie religieuse, parlant des anges ou bien du ciel, mais aussi de la nature elle-même, qui subit les assauts des chars et des armes comme dans ce haïku : « mêmes les chats craignent — les procès pour crimes contre l’humanité, eux ? » 

    De temps en temps, le poète fait une pause avec des images plus sereines, tranquilles. Le calme avant la tempête. Très souvent, il rapproche les humains des bêtes, en choisissant des prédateurs ou des animaux dangereux. Un peu à la manière de la Fontaine, il sélectionne ses créatures en fonction de ses caractéristiques et de sa symbolique comme l’anguille, l’alligator, l’araignée, le crocodile…

     

    Bernard Anton cherche à se mettre au plus proche de la position de l’Ukrainien, résistant à la guerre qui frappe son pays.

    De cette manière, il insère un message fort : celui que toute personne en ce monde, humain comme bête porte désormais les cicatrices de cette haine menée contre cette nation et son peuple. Peu importe l’endroit où le lecteur se situe, il est lui-même impacté et touché, car déclarer la guerre à l’Ukraine, c’est se dresser contre l’humanité. Ainsi, la nationalité ne joue pas un rôle prépondérant en matière d’empathie.

    D’ailleurs, l’ambition de Ben dépasse la simple publication d’un recueil engagé. Il s’agit d’un texte qui a pour vocation d’être lu, connu et utilisé afin d’éveiller les consciences et de créer une véritable réflexion, une réaction puissante envers l’Ukraine. À ses yeux, l’engagement de l’Occident reste encore trop discret et trop faible. Comme l’Ukraine est le rempart entre la Russie et l’Europe, une fissure peut provoquer un raz-de-marée.

    Près d’un tiers de l’ouvrage se dévoile sous la forme d’une postface, qui résume la guerre qui se déroule en Ukraine et qui oppose ce pays à la Russie. Ce rappel à l’ordre est le bienvenu, car il dresse une liste précise où les dates et les faits sont évoqués. L’ensemble est rédigé d’une façon à mettre en lumière l’Ukraine et à défendre sa position contre la Russie.

    Anathema contre l’usurpateur vise donc clairement Poutine : l’auteur-poète s’insurge et s’exprime à ce sujet dans un recueil court et bref, mais intense par son traitement graphique et sa maîtrise du haïku. Puisqu’il s’agit d’une forme atypique dans le cadre d’une publication moderne, ce recueil vaut la peine d’être lu, ne serait-ce que pour se confronter différemment à l’actualité dramatique du monde.

    D’autres romans à découvrir :

    Marceline ou le monde des autres : le dixième roman de Marc Desaubliaux